Keridwen Chaudron
Elle est petite, elle est
bossue ;
Sur sa chaudière son front sue
Et ruisselle, et sa main ossue
Y plonge un doigt sale et
crochu.
Une verrue énorme et grise
Pend de sa moustache qui frise
Sur sa lèvre que cicatrise
Le stigmate d’un pied fourchu.
(écrit au revers d’une lettre de faire-part de mariage par Victor Hugo)
Keridwen a oublié son âge. Elle est née sur Avallon, l’île des Pommes.
Petite, extrêmement vieille, bossue, affreusement ridée, les jambes
tortes et les mains noueuses, Keridwen promène son maigre corps à
travers tous les âges de la création d’un petit pas léger et chancelant
mais totalement infatigable. Elle est mue par une énergie qui vient des
profondeurs de la Terre Mère à laquelle elle appartient depuis le jour
très lointain de sa naissance.
Vêtue de pauvres frippes d’un gris
uniformément terne, chaussée de sabots de frêne inusables, elle est
coiffée d’un chignon de petites tresses entortillées dissimulé sous une
volumineuse coiffe de dentelle amidonnée.
Keridwen porte en
permanence au bras un vieux cabas de cuir noir usagé qui contient toute
sa maison. Excepté le chaudron, bien entendu !
Sa voix est calme et
douce, un peu chevrotante parfois quand tombe la nuit, mais vous vous
laisseriez prendre. C’est une charmeuse ou une enchanteresse, si vous
préférez. Enfin, une sorcière, quoi !
Deux choses l’embêtent un peu.
Sa vue qui baisse doucement mais régulièrement depuis quelques siècles
et sa mémoire gravement atteinte par plaques depuis son arrivée sur la
plage inconnue.
Son petit chat noir la suit obstinément depuis
toujours. Il n’aime pas faire faire du bateau, mais il adore les
mouettes. Surtout au petit déjeuner.
Keridwen est d’un premier abord
avenante et semble innofensive, vieille petite mère amie des chats, à
tel point que vous la laisseriez passer devant vous dans une file
d’attente ou lui laisseriez votre siège dans le bus. Vous l’aideriez
sans hésiter à traverser la rue. Mais elle est une sorcière des
légendes celtiques et sa ruse et sa férocité ne sont plus à démontrer.
Capable
d’avaler Gwyon Bach en se changeant en poule lorsque lui-même était
devenu grain d’orge puis après ça de le couver tranquillement neuf mois
dans son ventre et de le jeter à la rivière dès la naissance. Je
n’invente pas, c’est Taliesin
lui-même qui chante ses exploits. Capable de mitonner des petits plats
savoureux ou des tisanes immondes, de se changer en loup et de caresser
son chat avec tendresse, elle est multiple et surprennante. Qui peut
savoir qui était son chat autrefois ?